Témoignage :
Adolescent, j’ai vu cette #GayPride dans les journaux télévisés que regardaient mes parents. Des garçons dévêtus, beaucoup de couleurs et de la musique
tapageuse. Quelle tristesse pour moi. J’étais homo, je le savais, mais
je ne me reconnaissais en rien dans ce défilé carnavalesque. Et puis, ce
terme « pride », fier. Je n’étais pas fier d’être gay. C’était comme la
couleur de mes yeux ou celle de mes cheveux, un détail qui ne vous rend
pas fier mais indifférent.
Parce que j’ai eu la chance de grandir dans les années 90 et 2000. Dire
à mes amis ou à mes parents que j’aimais des garçons n’a pas posé de
problème. Et si je me souviens avoir essuyé des quolibets (tapette,
fiotte, pédale etc.) et des regards gênants, je me considérais bien loti
au regard de l’homophobie violente qu’ont subi certains. J’étais gay
mais « discret », « normal ». Le simple fait de penser à la communauté
LGBT me donnait de l’urticaire. Quelle idée de se confiner dans un
ghetto communautaire alors qu’on a la société — ouverte et tolérante-
pour soi ? Je vivais dans une bulle gentiment réconfortante.
Et le réel m’a salement rattrapé. Pour me réconcilier avec cette communauté que je ne comprenais pas et que je regardais avec défiance, j’ai proposé à ma rédaction de couvrir le mariage pour tous. Une façon pour moi d’apprivoiser ces pédés et ces gouines militant.e.s. J’allais parler d’amour et de filiation, de quoi me réchauffer le cœur. Tout le monde connaît la suite, je me suis retrouvé à couvrir des manifestations gigantesques. Où un peuple rose et bleu se levait afin que je ne puisse pas me marier. Et il y a eu ce « pédé » lancé par un manifestant parce que je faisais tâche dans leur cortège. J’ai passé de longues heures à écouter leurs arguments, entendre qu’ils n’ont rien contre les homosexuels, qu’ils en fréquentent d’ailleurs, mais de ceux qui savent « rester à leur place ». Il y aussi eu l’interminable débat parlementaire, où des hommes en costume eurent des mots effrayants, insultants et blessants sur nos couples et nos enfants. Neuf mois comme un calvaire à découvrir que mon homosexualité pouvait rendre les gens violents et haineux. Mais dans l’adversité, j’ai aussi rencontré des personnes qui sont devenues des sœurs et des frères pour moi. Nous vivions la même chose, la même horreur vue de l’intérieur ou subie à l’extérieur. Et là est né ce sentiment communautaire.
Du coup, je suis devenu pédé, au sein de la communauté pédé. Entendre des foules, dés élus et des médias juger ce que je suis et décider de ce que je pouvais faire ou non m’a rapproché de celles et ceux qui sont comme moi. Une prise de conscience tardive et vertigineuse. Quelle désillusion de réaliser que je pouvais déchaîner des torrents de haine et de prendre conscience qu’on a bien peu d’alliés fiables et tenaces dans ces circonstances. J’étais blessé par toute cette haine et meurtri de constater l’indifférence des autres. Quand je suis né (il n’y a pas si longtemps que ça), l’homosexualité était encore considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé. Je ne suis pas un malade mental mais en revanche, je sais que je ne peux pas embrasser un garçon ou lui tenir la main dans n’importe quelle circonstance, comme le font les hétéros. J’ai intégré, sans m’en rendre compte, ces règles de prudence pour éviter les regards déplacés, les insultes ou les agressions physiques. Je suis allé danser dans des havres de paix communautaires. Où on peut mater, séduire et rouler des pelles entre garçons comme si de rien n’était. Où être efféminé, folle, pas viril, ne fait pas de vous la cible de moquerie. L’homophobie, ce n’est pas qu’une tuerie dans une boîte gay d’Orlando. C’est aussi toutes ces personnes qui rendent long et tortueux le cheminement vers l’acceptation de soi. Mais je sais aussi que cette sensibilité aux insultes et aux jugements nous rend plus forts et plus courageux que ceux qui nous traitent de pédales.
J’irai donc marcher pour dire que, oui, je suis fier de celles et ceux qui ont marché avant moi et qui me permettent aujourd’hui de vivre dans un monde un peu plus libre. Fier aussi de pouvoir marcher pour celles et ceux qui ne le peuvent plus parce qu’on leur a craché dessus, parce qu’on les a tabassé, parce qu’ils ont été exécutés alors qu’ils dansaient et s’aimaient. Marcher fièrement pour affronter tous ceux que je dégoute à l’idée que j’embrasse un garçon. Pour une fois, ne pas baisser les yeux, ne pas se faire discret. Etre fier.
Vincent Daniel, journaliste à Francetvinfo.
Et le réel m’a salement rattrapé. Pour me réconcilier avec cette communauté que je ne comprenais pas et que je regardais avec défiance, j’ai proposé à ma rédaction de couvrir le mariage pour tous. Une façon pour moi d’apprivoiser ces pédés et ces gouines militant.e.s. J’allais parler d’amour et de filiation, de quoi me réchauffer le cœur. Tout le monde connaît la suite, je me suis retrouvé à couvrir des manifestations gigantesques. Où un peuple rose et bleu se levait afin que je ne puisse pas me marier. Et il y a eu ce « pédé » lancé par un manifestant parce que je faisais tâche dans leur cortège. J’ai passé de longues heures à écouter leurs arguments, entendre qu’ils n’ont rien contre les homosexuels, qu’ils en fréquentent d’ailleurs, mais de ceux qui savent « rester à leur place ». Il y aussi eu l’interminable débat parlementaire, où des hommes en costume eurent des mots effrayants, insultants et blessants sur nos couples et nos enfants. Neuf mois comme un calvaire à découvrir que mon homosexualité pouvait rendre les gens violents et haineux. Mais dans l’adversité, j’ai aussi rencontré des personnes qui sont devenues des sœurs et des frères pour moi. Nous vivions la même chose, la même horreur vue de l’intérieur ou subie à l’extérieur. Et là est né ce sentiment communautaire.
Du coup, je suis devenu pédé, au sein de la communauté pédé. Entendre des foules, dés élus et des médias juger ce que je suis et décider de ce que je pouvais faire ou non m’a rapproché de celles et ceux qui sont comme moi. Une prise de conscience tardive et vertigineuse. Quelle désillusion de réaliser que je pouvais déchaîner des torrents de haine et de prendre conscience qu’on a bien peu d’alliés fiables et tenaces dans ces circonstances. J’étais blessé par toute cette haine et meurtri de constater l’indifférence des autres. Quand je suis né (il n’y a pas si longtemps que ça), l’homosexualité était encore considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé. Je ne suis pas un malade mental mais en revanche, je sais que je ne peux pas embrasser un garçon ou lui tenir la main dans n’importe quelle circonstance, comme le font les hétéros. J’ai intégré, sans m’en rendre compte, ces règles de prudence pour éviter les regards déplacés, les insultes ou les agressions physiques. Je suis allé danser dans des havres de paix communautaires. Où on peut mater, séduire et rouler des pelles entre garçons comme si de rien n’était. Où être efféminé, folle, pas viril, ne fait pas de vous la cible de moquerie. L’homophobie, ce n’est pas qu’une tuerie dans une boîte gay d’Orlando. C’est aussi toutes ces personnes qui rendent long et tortueux le cheminement vers l’acceptation de soi. Mais je sais aussi que cette sensibilité aux insultes et aux jugements nous rend plus forts et plus courageux que ceux qui nous traitent de pédales.
J’irai donc marcher pour dire que, oui, je suis fier de celles et ceux qui ont marché avant moi et qui me permettent aujourd’hui de vivre dans un monde un peu plus libre. Fier aussi de pouvoir marcher pour celles et ceux qui ne le peuvent plus parce qu’on leur a craché dessus, parce qu’on les a tabassé, parce qu’ils ont été exécutés alors qu’ils dansaient et s’aimaient. Marcher fièrement pour affronter tous ceux que je dégoute à l’idée que j’embrasse un garçon. Pour une fois, ne pas baisser les yeux, ne pas se faire discret. Etre fier.
Vincent Daniel, journaliste à Francetvinfo.
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