vendredi 12 avril 2013

Ces gens-là...


D'abord il y a l'aîné 
Lui qui est comme un melon 
Lui qui a un gros nez 
Lui qui sait plus son nom 
Monsieur tellement qui boit 
Ou tellement qu'il a bu 
Qui fait rien de ses dix doigts 
Mais lui qui n'en peut plus 
Lui qui est complètement cuit 
Et qui se prend pour le roi 
Qui se saoule toutes les nuits 
Avec du mauvais vin 
Mais qu'on retrouve au matin 
Dans l'église qui roupille 
Raide comme une saillie 
Blanc comme un cierge de Pâques 
Et puis qui balbutie 
Et qui a l'œil qui divague 
Faut vous dire Monsieur 
Que chez ces gens-là 
On ne pense pas Monsieur 
On ne pense pas on prie 

Et puis, y'a l'autre 
Des carottes dans les cheveux 
Qu'a jamais vu un peigne 
Qu'est méchant comme une teigne 
Même qu'il donnerait sa chemise 
A des pauvres gens heureux 
Qui a marié la Denise 
Une fille de la ville 
Enfin d'une autre ville 
Et que c'est pas fini 
Qui fait ses petites affaires 
Avec son petit chapeau 
Avec son petit manteau 
Avec sa petite auto 
Qu'aimerait bien avoir l'air 
Mais qui n'a pas l'air du tout 
Faut pas jouer les riches 
Quand on n'a pas le sou 
Faut vous dire Monsieur 
Que chez ces gens-là 
On ne vit pas Monsieur 
On ne vit pas on triche 

Et puis, il y a les autres 
La mère qui ne dit rien 
Ou bien n`importe quoi 
Et du soir au matin 
Sous sa belle gueule d'apôtre 
Et dans son cadre en bois 
Il y a la moustache du père 
Qui est mort d'une glissade 
Et qui recarde son troupeau 
Bouffer la soupe froide 
Et ça fait des grands flchss 
Et ça fait des grands flchss 
Et puis il y a la toute vieille 
Qu'en finit pas de vibrer 
Et qu'on attend qu'elle crève 
Vu que c'est elle qu'a l'oseille 
Et qu'on écoute même pas 
Ce que ses pauvres mains racontent 
Faut vous dire Monsieur 
Que chez ces gens-là 
On ne cause pas Monsieur 
On ne cause pas on compte 

Et puis et puis 
Et puis il y a Frida 
Qui est belle comme un soleil 
Et qui m'aime pareil 
Que moi j'aime Frida 
Même qu'on se dit souvent 
Qu'on aura une maison 
Avec des tas de fenêtres 
Avec presque pas de murs 
Et qu'on vivra dedans 
Et qu'il fera bon y être 
Et que si c'est pas sûr 
C'est quand même peut-être 
Parce que les autres veulent pas 
Parce que les autres veulent pas 
Les autres ils disent comme ça 
Qu'elle est trop belle pour moi 
Que je suis tout juste bon 
A égorger les chats 
J'ai jamais tué de chats 
Ou alors y a longtemps 
Ou bien j'ai oublié 
Ou ils sentaient pas bon 
Enfin ils ne veulent pas 
Parfois quand on se voit 
Semblant que c'est pas exprès 
Avec ses yeux mouillants 
Elle dit qu'elle partira 
Elle dit qu'elle me suivra 
Alors pour un instant 
Pour un instant seulement 
Alors moi je la crois Monsieur 
Pour un instant 
Pour un instant seulement 
Parce que chez ces gens-là 
Monsieur on ne s'en va pas 
On ne s'en va pas Monsieur 
On ne s'en va pas 
Mais il est tard Monsieur 
Il faut que je rentre chez moi.

Jacques Brel - Ces gens là - 1966

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